Que reste-t-il de nos amours ? (2/10) : Une femme indépendante

Originaire de Tondela, Amelia Gomes 
avait 16 ans à son arrivée au Luxembourg, en 1986. Elle habitait chez des oncles. À 18 ans, elle n’est pas rentrée, comme elle le souhaitait initialement.

Photo : Paulo Lobo

J’ai trouvé du travail dans la restauration et en trois mois j’ai appris le français. De la plonge, je suis vite passée au service des tables. Je suis restée dix ans dans ce secteur. J’ai abandonné l’idée de rentrer : je me suis habituée au Luxembourg et j’y ai rencontré mon futur mari et père de mes deux enfants.

Et l’épicerie Melita a démarré.


Mes beaux-parents et moi avons repris le magasin, qui existait depuis longtemps et avait eu des propriétaires luxembourgeois, italiens et portugais. L’épicerie Melita existe depuis le 24 avril 1998. Pendant des années, nous étions ouverts sept jours sur sept.

Un peu psychologue

Des anecdotes ?


Le nettoyage du local avait pris plus de temps que prévu, et, selon mon mari, il aurait fallu reporter l’ouverture… alors, ma belle-mère et moi avons profité de l’absence de nos maris, qui étaient allés au Portugal, pour ouvrir le magasin ! Nous femmes sommes plus déterminées que les hommes ! Ma belle-mère et moi nous entendions très bien. Si quelqu’un venait avec des commérages, nous réussissions à éviter des conflits. Dans un commerce comme celui-ci, parfois on doit être un peu psychologue.

Après 36 ans de vie luxembourgeoise, quel est votre bilan ?


Je me suis toujours sentie bien acceptée ici. Mes expériences sont positives. De toute façon, chaque difficulté que l’on trouve sur son chemin est un apprentissage. Si le Luxembourg a été en quelque sorte un accident, j’ai appris à l’aimer, et c’est ici que je suis devenue la personne que je suis aujourd’hui. J’ai toujours travaillé et suis devenue une femme indépendante. J’adore être portugaise. J’aime mon pays, mais je ne retournerai pas y habiter.

En 25 ans, pas mal de choses ont dû changer rue d’Anvers…


En 1998, ce coin du quartier était différent, plus peuplé. Néanmoins, la population reste très mixte, avec beaucoup de nationalités. Même si nous n’habitions pas ce quartier, mes enfants ont fréquenté la crèche et l’école primaire de la rue Michel Welter et plus tard aussi la maison des jeunes. À l’époque, c’était très mouvementé et il y avait beaucoup de commerces : une boucherie, une boulangerie, l’économat et encore deux autres épiceries portugaises, Silva et Gloria. Et je me souviens aussi d’Elvira, la dame galicienne, qui avait le magasin d’électricité place de Strasbourg. Les épiceries portugaises marchaient très bien, parce que l’on ne trouvait pas d’articles portugais dans les grandes surfaces. Certaines habitudes et des goûts ont changé. Notre génération, par exemple, mangeait beaucoup plus de morue que l’actuelle. Avant, j’avais toujours trois qualités de morue sèche, mais maintenant celle que je vends est surgelée.

Vous êtes très attachée à votre magasin.


J’adore mon épicerie, la clientèle, le contact… J’ai des client-es qui étaient enfants quand je les ai rencontré-es. Parfois d’anciens voisins viennent me saluer. Et j’adore quand des jeunes m’appellent quand ils passent devant ma porte !

Récupérer la vie du quartier

Nous vous retrouverons dans votre épicerie dans 25 ans ?


Non, j’ai de nouveaux projets. Actuellement*, je traverse une épreuve difficile, car ma propriétaire a bloqué la vente de mon épicerie à deux reprises. Cela m’aurait fait tellement plaisir d’avoir un repreneur qui continue ce que j’ai fait pendant 25 ans !

Pendant le confinement, l’épicerie Melita est restée ouverte.


J’ai bien travaillé, mais après la covid on observe des changements, le pouvoir d’achat a diminué… Le rythme des ventes est irrégulier.

Un vœu pour le quartier de la gare ?


Plus d’animation. Des activités qui aident à récupérer la vie du quartier.

Après la fermeture de votre épicerie, continuerez-vous de venir dans le quartier ?


Bien sûr !

* Cette conversation a eu lieu fin mai 2022.

Le quartier de la gare raconté par ses habitant-es

Le tram fonctionne, les travaux et la pandémie sont presque finis. Paca Rimbau Hernández repose la question qu’elle avait déjà posée – en 1999-2000 et en 2019-2020 – à des personnes qui résident ou travaillent dans le quartier de la gare : « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx).


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