Peur de la croissance ? Consolez-vous avec la croissance qualitative ! Lors du hearing à la Chambre, le patronat a fait preuve de créativité… à défaut de sagesse.
Y a-t-il plus écolo que le patronat luxembourgeois ? Lors du hearing sur le processus Rifkin à la Chambre jeudi dernier, Jean-Jacques Rommes, leader de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), a frappé un grand coup. Au nom de dix organisations patronales, il s’est prononcé en faveur « de nouveaux modes de production et de consommation alliant qualité de vie et efficience des ressources ». Oui, le patronat rejette le modèle de croissance actuel, qui conduirait à 1,1 million d’habitants en 2060, avec des conséquences néfastes en termes d’artificialisation des sols et de circulation automobile. Et il en propose un autre, « basé sur une croissance intensive et qualitative en diminuant les externalités négatives ».
Que restait-il à ajouter pour les environnementalistes ? Justement, le Mouvement écologique avait lui aussi préparé son coup. « Pour ce qui est de remettre en question notre modèle économique et social, le processus Rifkin a été, à ce jour, un échec », a constaté Blanche Weber. Pour réclamer non pas des panneaux solaires sur tous les toits ou des zones de protection pour la perdrix grise, mais… une discussion sur plus de justice sociale, une meilleure protection des données et une réorganisation du marché de l’emploi. Oui, les écolos luxembourgeois sont conscients des enjeux sociaux liés à la Third Industrial Revolution (TIR).
Restent les syndicats et les organisations actives dans le domaine social. Ils restent droits dans leurs bottes, ou plutôt s’accrochent comme ils peuvent aux droits sociaux existants. « Éviter que [les mutations à venir] se traduisent en une perte d’emplois » est une des tâches des syndicats mentionnées par Frédéric Krier, membre du bureau exécutif de l’OGBL dans une interview avec Paperjam. Les menaces qui pèsent sur les équilibres sociaux semblent peser si lourd que les spécialistes du social ne sont pas tentés par des incursions dans d’autres domaines.
L’hégémonie culturelle du patronat en matière de TIR semble donc devoir se poursuivre – n’oublions pas que c’est lui, avec l’appui de son ministre préféré Étienne Schneider, qui avait lancé le processus Rifkin. Surtout, au cœur du discours économico-écologique se trouve une idée susceptible de séduire la classe politique comme les citoyennes et citoyens moyens : la croissance qualitative.
Profiter des avantages de la croissance sans en subir les inconvénients, on y croit parce qu’on a envie d’y croire. Rappelons que cette idée avait déjà été mise en avant il y a plus de dix ans par Jean-Claude Juncker – sans résultat tangible d’ailleurs. Il y a presque un an, le woxx avait signalé un certain scepticisme par rapport au « fantôme » de la croissance qualitative. Et les exemples qui permettent de démystifier cette idée se multiplient. Que dire du projet de data center de Google, qui est fondé, comme l’a rappelé Blanche Weber, sur des avantages fiscaux et une consommation de ressources naturelles considérable ? Et que penser du récent plan social chez Delphi qui concerne des emplois hautement qualifiés – ceux qu’en théorie le Luxembourg devrait attirer plutôt que de les perdre ?
La croissance qualitative, on y croit parce qu’on a envie d’y croire.
En vérité, si croissance il y a, elle sera autant quantitative que qualitative, et le grand-duché ferait bien de se préparer à gérer intelligemment les « externalités négatives ». Notons que celui qui a donné son nom au processus n’est pas vraiment un adepte de la croissance qualitative qu’on voudrait lui faire endosser : Jeremy Rifkin soutient que la grande transition qui accompagnera la TIR et nous emmènera vers l’âge solaire sera très intense en main-d’œuvre et résoudra – à moyen terme – le problème du chômage.
Faire miroiter une croissance « allégée » n’est pas le seul point sur lequel le gouvernement dénature les idées de Rifkin. Ce dernier avait placé la protection du climat et la révolution énergétique au centre de son discours de novembre dernier. Mais le Luxembourg vient de signer un accord avec la Lituanie : il lui rachètera les kilowattheures d’électricité verte qui manquent pour remplir les obligations européennes. Payer là-bas au lieu d’agir ici… avec cette approche, on restera accro à la croissance quelle qu’elle soit.