La menstruation au travail – briser les tabous et se libérer

Line Wies, conseillère communale déi Lénk à Esch-sur-Alzette, est convaincue que la revendication des deux jours de « congé menstruel » par mois, n’est pas la solution adaptée à l’enjeu des règles pénibles au travail. Dans sa contribution, elle détaille ses préoccupations, ainsi que ses réflexions par rapport à solutions alternatives.

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De quoi ont besoin les personnes qui souffrent de leurs règles, lorsqu’elles sont au travail ? D’empathie certes. De la reconnaissance par leurs collègues et leurs supérieurs hiérarchiques que quand elles ont mal, elles ne peuvent être aussi performantes que d’habitude. Puis, d’une prise de conscience au-delà du monde du travail que les règles ce n’est pas inodore, incolore et rarement indolore. Et finalement, de travailler moins.

Une pétition pour l’obtention de deux jours de congé supplémentaires au bénéfice des personnes menstruées thématise la douleur des règles qui empêche de travailler, voire même de se rendre au travail. Les pétitionnaires sont parties de leur expérience personnelle et ont été agréablement surprises du succès de leur pétition. La douleur des règles au travail concerne beaucoup de personnes disposant d’un utérus, même si très peu de personnes en parlent ouvertement. La pétition a le mérite d’en rendre compte et de participer à une prise de conscience collective du problème évoqué.

« Gare au double-standard »

En revanche, je suis convaincue que la revendication des deux jours de « congé menstruel » par mois, n’est pas la solution adaptée à l’enjeu des règles pénibles au travail. Elle pourra même nuire aux travaill.eur.euse.s menstrué.e.s, au vu des discriminations que rencontrent les femmes au travail et face au travail. Tout d’abord elles font face au double-standard qui porte un jugement différencié sur les compétences des femmes par rapport aux hommes : Le travail des femmes ne vaudrait pas celui des hommes. Pour prétendre à une valorisation égale il faudrait qu’elles prennent les attributs des hommes. Dans le même sens, les capacités biologiques des personnes menstruées ont historiquement été prétexte à leur exclusion de certains travaux, mais aussi de certains pans de la vie sociale dont le marché du travail. Aujourd’hui encore, ces discriminations persistent et elles se manifestent sur le marché du travail où les femmes sont largement représentées. C’est le cas pare exemple lors d’un entretien d’embauche, quand l’employeur.e. demande à la jeune candidate si elle a prévu d’avoir des enfants. Car les avoir c’est s’absenter de son travail pour une période donnée, peut-être devenir moins performant, car moins en forme et plus mentalement occupé par les obligations parentales. Répondre à cette question par l’affirmative, c’est ne pas obtenir le poste à coup sûr. Si on sait que certain.e.s employeur.e.s hésitent encore de nos jours à embaucher une personne qui a la prétention de devenir mère, l’introduction d’un congé menstruel ne peut que les rebuter davantage. Rien ne justifie un tel comportement, mais rien ne l’empêche. Il n’y a pas de lois qui protègent contre de telles discriminations sexistes.

« Ne pas tomber dans le piège du patriarcat »

C’est un combat féministe à mener, mais qui devrait aussi avoir lieu sur d’autres plans. Par exemple sur le plan de la répartition égalitaire entre hommes et femmes du travail du « care », c’est-à-dire tout travail rémunéré et non-rémunéré qui consiste à s’occuper d’autrui. Plus de femmes que d’hommes travaillent à mi-temps, pour pouvoir s’occuper de leur famille. Ainsi, quand les femmes ont des enfants, elles perdent en salaire, alors que pour les hommes devenir père de famille s’accompagne souvent d’une prime ou d’une promotion au travail. Les femmes restent cantonnées au foyer et au travail non-rémunéré, les hommes occupent les sphères économique et politique.

La division sexuée du travail, ce n’est pas à cause des menstruations pénibles, mais à cause de la logique patriarcale qui se sert de ces contraintes biologiques pour en justifier d’autres. Pour ne pas tomber dans le piège du patriarcat, le débat qu’ont tenté d’ouvrir les pétitionnaires devrait pouvoir porter sur l’acquisition de nouveaux droits pour tou.x.s.tes dans le monde du travail. Les pétitionnaires demandent deux jours de congé supplémentaires, leur accordant le droit de prendre soin de soi et de se soutirer à l’obligation de performance. Et si ces droits pourront-être accessibles et étendus à l’ensemble des travailleur.euse.s ?

« Avoir plus de temps et de moyens pour prendre soin de soi »

De plus en plus de personnes souffrent au travail, pas seulement des règles, mais aussi des pressions provoqué.e.s par les exigences de compétitivité et de performativité qui règnent sur le marché du travail, dans le secteur privé, mais aussi de plus en plus dans les administrations de l’Etat. Il est évident qu’une telle pression renforce les inflammations liées aux règles et les sensations de déprime qui les accompagnent. Ce qu’on désigne désormais par syndrome prémenstruel (PMS) est aussi le produit d’une dégradation de nos conditions de vie dans des sociétés de plus en plus inégalitaires et compétitives au prix de l’environnement et de notre santé. Au Luxembourg, on travaille plus et plus longtemps par rapport aux autres pays membres de l’Union européenne. On travaille trop et certain.e.s ne gagnent toujours pas assez pour y vivre décemment. Réduire le temps de travail, avoir deux jours ouvrables par semaine de libre, acquérir une autonomie au travail, s’aménager ses heures et son espace de travail de manière à s’y sentir à l’aise, apporteront un changement radical de nos modes de vie et de production. La question de la souffrance liée aux règles se posera toujours. Elle pourra être thématisée sur d’autres plans de lutte, comme celle de la mise à disposition gratuite des articles d’hygiènes dans les infrastructures publiques et sur les lieux de travail. Ou encore au niveau du développement de méthodes et produits collectivement partagés de soulagement des douleurs. Enfin, c’est aux niveaux de la sensibilisation grand public et de l’éducation sexuelle que des efforts considérables doivent être faits, pour gommer une fois pour toute l’image publicitaire du joli liquide bleu versé sur les serviettes hygiéniques au milieu d’un champ de fleurs où courent des femmes en robes blanches immaculées libres comme le vent.


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