Série : Que reste-t-il de nos amours ? (12/16) : Leo et Lea : une affaire de famille

Un endroit au Luxembourg pour se sentir en Italie ? il s’appelle l’hôtel Italia. Depuis 2016, la société s’appelle Italia due et a un beau sous-titre : Leo et Lea. Le restaurant et ses recettes continuent de nous plonger dans l’année de sa création, 1962.

Photos : Paulo Jorge Lobo

Lea Antognoli est née à Luxembourg en 1985. Depuis 2016, elle travaille avec son père, Leo. « J’ai grandi ici. Après l’école, je venais manger ou attendais que mon papa finisse. Et, rêve d’enfant, je pensais qu’un jour je reprendrais l’affaire. Cela a conditionné mon parcours scolaire. J’ai fait l’école hôtelière à Diekirch. Après mes études, j’ai commencé à travailler ici. Trois mois plus tard, j’ai eu un accident au bras qui m’a coûté très cher, car je suis restée paralysée pendant deux ans. J’ai subi plusieurs opérations et j’ai dû recommencer à étudier, car je ne pouvais plus exercer mon métier de cuisinière. Je me suis formée dans d’autres domaines : comptabilité, immobilier, droit du commerce et des sociétés… Entre 2012 et 2016, le restaurant a été fermé, pour des raisons familiales. Et, lors de la réouverture, j’ai saisi l’occasion pour recommencer à y travailler. Mon père et moi avons rétabli le même décor dans le restaurant et les chambres de l’hôtel sont devenues des appartements.

Le dévouement de mon père m’a inspirée pour continuer notre entreprise familiale. Ici, j’ai des souvenirs d’enfance, de lui, de ma tante et de mon oncle. L’ambiance de la cuisine m’a toujours plu. Quand j’étais enfant et mangeais ailleurs des pâtes et des lasagnes, je me disais que ce n’était pas de vraies, car elles n’avaient pas le même goût que celles faites chez nous. Pendant la période de la fermeture, même s’il existe d’autres restaurants italiens, chacun avec sa touche, on remarquait que le nôtre manquait. Nous avons voulu garder le style de l’époque des débuts de mon père et dont les gens ont de beaux souvenirs. Il y a des troisièmes générations de client-e-s qui viennent ! Certain-e-s m’ont vue naître !

Enfant, j’aimais beaucoup le Monopol et le grand magasin avec un énorme rayon de jouets, le Quick, avenue de la Gare. Je me rappelle qu’une fois, j’y suis allée avec ma mère et j’ai choisi plein de jouets, mais elle avait oublié son portefeuille ! J’ai appris à faire du vélo au Rousegäertchen. Je me souviens aussi de la kermesse de la place de Paris. Une fois par semaine, je rendais visite à Marilou – Marie-Laure Monti – et à ma cousine Carla, qui travaillait dans le salon de coiffure de celle-ci.

Jongler avec deux époques

Mon défi, c’est de réussir à jongler avec deux époques et d’intéresser des personnes de mon âge à un rythme qui renvoie à un temps passé. Garder l’équilibre entre l’actualité et le passé. »

Leo Antognoli : « Je suis né en 1934, à Pergola, province de Pesaro, le sixième d’une famille de sept enfants. Le 30 juin 1955, je suis arrivé à Luxembourg. Un de mes frères travaillait à l’entreprise Chaux de Contern. Il m’a proposé de me faire un contrat, sous condition que je travaille et me comporte bien. Je suis devenu chauffeur. Plus tard, j’ai été chauffeur de poids lourds, un travail très fatigant. Ensuite, j’ai travaillé trois ans chez les frères Lino et Marino Trigatti. Plus tard, j’ai épousé Anna, la fille de Marino.

Je venais manger à l’hôtel Italia, qui existait depuis le début du siècle. Il était fréquenté par des ­Italien-ne-s, on y parlait italien. C’était comme une pension de famille. Je dormais dans une chambre au-dessus. Le propriétaire à l’époque était Piero Simonazzi. Un autre italien, Roncalli, lui a succédé pour ensuite céder aux sœurs Schons. En 1962, ma femme et moi l’avons repris. Mon frère Dario et ma sœur Nilde sont venus travailler avec moi.

À l’époque, dans ce coin, il y avait un cordonnier, un couturier, un épicier, beaucoup de petits commerçants. J’ai toujours aimé cuisiner. J’y étais habitué depuis tout petit, car nous aidions tous ma mère en cuisine. Dans ma famille on mangeait très bien. Un oncle paternel était prêtre et nous recevions souvent des gens à la maison.

Avec la guerre, la vie est devenue difficile. J’ai dû arrêter l’école. Et à 21 ans, je suis parti. J’ai été très bien accueilli au Luxembourg. Mes employeurs m’ont traité comme si j’étais un de leurs enfants. Ici, j’ai beaucoup appris, j’ai pu développer mon métier et mon commerce. Mon plat favori ? Les pâtes fraîches. Auparavant, faites à la main et maintenant avec la machine. Je continue à cuisiner et je donne des conseils au personnel de la cuisine.

Je n’ai pas pris la nationalité luxembourgeoise. Or je me sens Luxembourgeois. J’ai contribué à la prospérité de ce pays. Je suis bien connu et respecté, même par des politicien-ne-s. Je suis fier de ce que j’ai accompli. »

Trois questions à Leo et Lea :

Des regrets ?
Leo : Rien ne me manque.
Lea : L’évolution. Avec elle, l’identité de la place de mon enfance a changé. Et, comme toute bonne Luxembourgeoise, je suis attachée à mon petit Luxembourg.

Votre endroit préféré ?
Lea : L’hôtel Italia. Je l’appellerai toujours ainsi, même si l’hôtel n’existe plus.

Un vœu pour le quartier de la gare ?
Leo : Les travaux actuels nous ont enlevé 50 % des clients. J’espère qu’après les travaux le quartier retrouvera sa vie. Autrefois, il n’y avait pas de bus, on roulait en tram. Je pense que c’est mieux le tram, plus écologique.
Lea : Puisque nous devons subir tous les changements liés à la modernisation, espérons que cela rendra la place de Paris plus populaire, comme les places du centre-ville, qu’elle retrouvera l’ambiance d’autrefois, tenant compte aussi des goûts des nouveaux habitant-e-s du quartier.


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare à travers des témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx). Presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage et de vie des êtres humains et de leurs histoires.


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