En 2020, la Chambre était révoltée par l’affaire du dépassement budgétaire du satellite. Or, après trois ans de travail, la commission de contrôle accouche d’une souris. Quelles leçons en tirer ?
Tout est bien qui finit bien. Le rapport de la commission du Contrôle de l’exécution budgétaire sur le projet de satellite d’observation LUXEOSys a été adopté à l’unanimité par celle-ci la semaine dernière. En 2020, la Chambre avait voté en plénière la rallonge budgétaire pour ce satellite et, en juin dernier, la participation à un système satellitaire dédié à la communication « sécurisée » a également été approuvée. Tout cela devrait contribuer à satisfaire l’Otan, même si les dépenses militaires du Luxembourg continuent à représenter moins que les deux pour cent de PIB réclamés par les maximalistes.
Pourtant, ça avait mal commencé quand, au printemps 2020, le ministre de l’Armée François Bausch avait expliqué que le plan de financement de son prédécesseur Étienne Schneider, adopté en 2018, était insuffisant. Rapidement, il était devenu clair que la Chambre avait été dupée par les responsables du projet originel. Bausch avait néanmoins remis sur les rails ce qu’il considérait comme « un bon projet » et le CSV, traditionnellement proarmée, était sur le point de lui embrayer le pas. Cependant, au bout de quelques hearings, les dysfonctionnements avaient été confirmés et l’opposition avait exigé la mise en place d’une véritable commission d’enquête. Bausch, qui pourtant n’avait rien à se reprocher, a refusé, et en novembre 2020 la rallonge budgétaire était adoptée avec les seules voix de la majorité.
On aurait pu s’attendre à un rapport critique de la commission de contrôle, répondant aux couleuvres qu’a dû avaler le parlement. Il n’en a rien été. Après un rapport préliminaire, la Cour des comptes a été chargée d’étudier l’affaire. Le rapport adopté la semaine dernière est essentiellement une reprise de celui de la Cour des comptes, publié en juillet 2022. S’il a fallu un an à la commission de contrôle, est-ce dû à l’incompétence ou à un marchandage entre majorité et CSV ? En tout cas, le positionnement final du parlement sur cette « affaire » fait pschitt. Constatant les nombreuses fraudes commises par le gouvernement et les fonctionnaires en 2018, et, entre les lignes, les négligences de l’Inspection des finances et de la Chambre elle-même, le document se contente néanmoins d’adresser des « recommandations » et des « invitations » au gouvernement.
Le satellite est accepté pour des raisons politiques et pour la quantité d’argent qu’il permet de brûler.
Signe supplémentaire de la désinvolture avec laquelle la Chambre continue à approcher ces dysfonctionnements, le rapport reprend l’évaluation de la Cour des comptes, affirmant que le Luxembourg remplirait son engagement envers l’Otan d’avoir un satellite opérationnel dès 2023. Déjà en 2022, la cour aurait pu prévoir que ce ne serait pas le cas. Entre-temps, la date de lancement du LUXEOSys a encore été repoussée à 2024, sans plus de précision – au mieux le satellite sera opérationnel en 2025. Leçon 1 : le gouvernement décide, la Chambre se résigne.
Si la plupart des partis ont pu s’arranger avec la remise en route du satellite, c’est sans doute moins dû à la qualité du projet qu’à la quantité d’argent qu’il permet de brûler, ainsi qu’à des considérations politiques. En effet, le DP et le CSV tiennent à de bonnes relations avec l’Otan, tandis que le LSAP s’estime heureux qu’on ne parle plus de Schneider. Clairement, augmenter les dépenses militaires fait consensus. Leçon 2 : qui veut gouverner doit consentir à armer.
Inversement, proposer de « laisser tomber » le projet et d’utiliser l’argent pour maîtriser les crises écologiques et sociales est politiquement inacceptable. Il n’y a qu’à voir la manière dont Déi Lénk – seul parti assez clairvoyant pour ne pas voter le satellite en 2018 – se font épingler parce qu’ils conservent dans leur programme l’idée de la dissolution de l’Otan. Or, par temps de guerre, les alliances douteuses et les marchands d’armes sont mis sur un piédestal. Pourtant, au-delà de l’aspect financier, le satellite peut aussi être mis en question sur base de son utilisation par des partenaires douteux, pour des opérations douteuses. Hélas, leçon 3 : dans le contexte de nouvelle guerre froide, il n’y a plus de crimes de guerre quand ce sont des alliés qui les commettent.