Quel développement économique pour le Luxembourg ?

Le débat sur l’installation d’entreprises tourne souvent au dialogue de sourd-e-s. Certes, les projets en débat engendrent forcément des nuisances, mais la véritable faiblesse du projet Google est ailleurs.

Système de refroidissement de serveur Asperitas AIC24. (Wikimedia/Rolf Brink/CC BY-SA 4.0)

Cela fait 30 ans qu’on l’entend : la dépendance du grand-duché d’un seul secteur économique – la finance – est dangereuse, et il faut diversifier. Mais la diversification n’est pas une science exacte, et la promotion de tel ou tel « cluster » par les ministres de l’Économie successifs n’a pas empêché un développement assez chaotique du tissu économique. « Plus il y a d’entreprises qui veulent venir au Luxembourg, mieux c’est », auraient peut-être affirmé Robert Goebbels ou Henri Grethen. Jeannot Krecké voyait sans doute les choses différemment, et avec Étienne Schneider, on a eu droit au rapport Rifkin et au concept – flou – de croissance qualitative.

À l’opposé du « tout est bon à prendre » d’antan, il y a l’approche du « not in my backyard ». Notre pays étant petit et la sensibilité aux nuisances grande, le concept de jardin arrière a tendance à s’étendre à l’ensemble du territoire. En pratique, même si elles s’en défendent, des organisations comme le Mouvement écologique auraient tendance à bannir entièrement les installations de type industriel du Luxembourg. Ainsi, lors des conflits préélectoraux autour de l’implantation de nouvelles entreprises, ni la fabrique de yaourts, ni l’usine de laine de roche, ni le data center n’ont trouvé grâce aux yeux du Mouvement écologique. Et à chaque fois, les critiques de l’ONG, qui agit dans un esprit de défense de l’intérêt général, ont été complétées par celles d’initiatives locales, opérant dans une logique pur jus de « not in my backyard ».

Non aux yaourts Fage, adieu la laine Knauf !

Passons en revue les cas litigieux. Fabriquer des yaourts « grecs » au Luxembourg, sur base d’ingrédients importés et destinés à être vendus à l’échelle de l’Europe occidentale, qu’est-ce que cela apporte en termes de développement économique ? « 60 millions d’impôts », avait affirmé Étienne Schneider, avant de se rétracter suite à une enquête de Reporter.lu. En fait, la société Fage paye des avances de 450.000 euros par an – en attendant que l’entreprise fasse éventuellement valoir ses pertes cumulées. Cela n’a pas empêché le ministre de faire des pieds et des mains afin de faire avancer le dossier, et ce malgré l’opposition déclarée de son partenaire de coalition vert.

Beaucoup plus pointue, la fabrication de laine de roche devrait être bien vue par les environnementalistes – elle est utilisée dans l’isolation thermique de bâtiments, cause verte par excellence. Pourtant, aussi bien le parti Déi Gréng que le Mouvement écologique ont fait la fine bouche pour le projet Knauf. D’une part, il y a eu des réticences locales face à une future source de pollution supplémentaire dans le sud du pays ; d’autre part, des doutes ont été émis sur les qualités du produit : la combustion massive de charbon lors de sa production limiterait les perspectives d’avenir de la filière. Le débat a été avorté par la décision de l’entreprise de s’implanter en Lorraine. Les environnementalistes ont fait ouf, et plus personne ne semble s’interroger sur l’origine des matériaux à utiliser lors de l’offensive d’efficacité énergétique à venir.

Data center de Google, ombres et lumières

Reste Google. A priori, le projet a tout pour séduire. De taille industrielle, le data center fait pourtant partie du secteur des services, qui plus est dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). Côté environnement, Google essaie d’être exemplaire en ayant recours à des énergies renouvelables dans ses installations, côté retombées, le data center permettra de booster la fameuse troisième révolution industrielle. Mais là encore, le Mouvement écologique dit niet (voir notre article « Le centre et la mêlée »). Impact sur la nature environnante, artificialisation du sol, consommation démesurée d’eau et d’électricité. Le parti vert par contre semble faire profil bas sur ce dossier.

On garde l’impression que, quel que soit le projet d’installation d’entreprise, il ne sera jamais assez bien. Pourtant, les arguments avancés contre les projets Knauf et Google, tout valables qu’ils soient, peuvent être contrebalancés par leur utilité locale – et même régionale, si on veut se placer dans une approche macroéconomique. Fournir la région en matériel d’isolation ou en capacités « cloud », cela vaut bien quelques sacrifices. Les installations en question sont certainement moins démesurées et antiécologiques que par exemple le Findel, qui draine des voyageurs de l’ensemble de la Grande Région et mise sur un moyen de transport aux nuisances multiples. Cela dit, les critiques structurelles par rapport à la laine de roche sont peut-être justifiées.

Sacrifier le Findel au nom du progrès ?

Mais pour le projet Google, la véritable faiblesse est ailleurs. D’une part, comme le relève le Mouvement écologique, l’entreprise est surtout attirée par des avantages en termes de coûts – électricité bon marché et complaisance fiscale. D’autre part, Bissen n’est pas vraiment la première technopole du grand-duché. Quel plus peut apporter au tissu économique un data center attiré par l’appât du gain et installé à l’écart de structures importantes telles que la place financière et l’université ?

Si nous prenions au sérieux l’idée d’un développement économique durable, ne faudrait-il pas procéder de manière offensive ? Actuellement, on cherche la petite bête face à de nouveaux projets sans jamais remettre en question le développement passé. Une entreprise comme Google devrait s’installer au centre du pays, là où elle peut s’enraciner dans autre chose que des avantages pécuniaires. Alors, pourquoi pas ? Réduisons la surface du Findel de moitié et installons-y une technopole !


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