Leaders à la COP26 : Le grand blablabla

Le début de la conférence climatique à Glasgow peut donner l’impression que le monde progresse dans la lutte contre le réchauffement climatique. En regardant de plus près, il n’en est rien.

Discours d’ouverture : « Toutes ces promesses ne seront que du blablabla, et la colère et l’impatience du monde seront incontrôlables. » Boris Johnson serait-il vraiment l’alter ego de Greta Thunberg ? (British Prime Minister’s Office; OGL v.3)

Si la COP26 était un train… elle serait une rame des CFL. Fiabilité tout d’abord : le 31 octobre au matin, alors que la délégation officielle luxembourgeoise devait s’embarquer pour rejoindre Glasgow, les activistes de United for Climate Justice (U4CJ) l’ont attendue en vain sur un quai de la gare centrale pour lui remettre un vade-mecum climatique. Efficacité ensuite : pour entrer dans la zone centrale de la COP lors de l’ouverture, les délégué-e-s se sont retrouvé-e-s dans des files immenses, au point qu’on leur a demandé de rentrer pour respecter les mesures contre la covid. Covid qui justement a rendu difficile, voire impossible, la participation à la conférence pour les activistes de base, en premier lieu celles et ceux venu-e-s des pays du Sud (le woxx y a également renoncé en dernière minute). Si l’incompétence des organisateurs-trices anglais-es présage de la réussite de cette COP, c’est mal parti.

Et pourtant, comme chez les CFL, on trouve les moyens de positiver : à l’image des enquêtes de satisfaction complaisantes des chemins de fer, le Leaders Summit en début de COP a donné lieu à un cortège de « bonnes nouvelles ». Les médias critiques vous avaient fait croire que la finance climatique piétinait, que la température monterait de 2,6 degrés et que les émissions de CO2 ne cessaient d’augmenter (woxx 1656) ? Rassurez-vous, d’autres informations circulent désormais. Ainsi, le soutien financier climatique Nord-Sud atteindrait tout de même les 100 milliards de dollars promis en 2009. Quant à l’augmentation de température, les engagements des États à ce jour permettraient de la maintenir en dessous de deux degrés en moyenne. Enfin, contrairement aux messages alarmistes, les émissions de CO2 seraient déjà stables depuis une dizaine d’années. Si on ajoute à cela les engagements officiels de nombreux pays sur une réduction substantielle des émissions de méthane d’une part, sur la préservation des forêts de l’autre, comment peut-on encore être pessimiste ?

Fausses bonnes nouvelles

Hélas, à y regarder de plus près, les « bonnes nouvelles » doivent être relativisées. Le chiffre de 100 milliards a été sorti du chapeau à la dernière minute, suite à des déclarations vagues du sommet du G20, et avec des méthodes de calcul mises en doute par le mouvement climatique. Le recalcul de l’augmentation de température s’est fait dans le cadre d’une étude non encore validée, et qui tient compte des récentes annonces chinoises et indiennes, dont les détails restent inconnus.

La nouvelle de la stabilisation des émissions émane au contraire du très solide Global Carbon Project. Cependant, la différence par rapport à des évaluations antérieures provient de l’interprétation des émissions liées au « Land Use Change » (LUC). Ce sont les baisses dans ce domaine qui auraient compensé l’augmentation continue des émissions au sens classique. Cela n’en est pas moins une bonne nouvelle – à condition que cette tendance dans le LUC ne soit pas inversée, comme elle risque de l’être en Amazonie.

Les engagements sur les émissions de méthane sont évidemment les bienvenus. Par rapport au CO2, ce gaz à effet de serre agit à plus court terme sur l’augmentation de température et représente donc une opportunité pour ralentir cette dernière – au risque qu’on en profite pour minimiser l’urgence d’agir du côté du CO2… Les engagements en faveur des forêts de leur côté sont trop flous et font partie des discours « blablabla » dont s’est moquée Greta Thunberg dès avant la COP. Discours qui servent, comme les « bonnes nouvelles », à occulter l’inaction dans des domaines essentiels. Ainsi, les pays industrialisés se reposent sur leurs engagements actuels, notamment l’UE ou le Luxembourg avec leurs réductions dites « ambitieuses » de 55 pour cent et leur « net zero carbone » pour 2050. Le mouvement climatique, à l’image de U4CJ, estime au contraire qu’au nom des évidences scientifiques et de la justice climatique, 65 pour cent et la neutralité carbone dès 2040 s’imposeraient.

À analyser la position luxembourgeoise à la COP26, tout n’est pas noir cependant. Lors du bref discours auquel il a eu droit, Xavier Bettel a apporté son appui à l’objectif de 1,5 degré, qui ne fait malheureusement toujours pas l’unanimité. Quant à la manière d’y parvenir, il a fait une sorte d’autocritique : « Notre action climatique collective manque d’ambition, et sa mise en œuvre est tout simplement trop hésitante. » Dans une interview avec Paperjam, Carole Dieschbourg était allée encore plus loin en mettant en garde : « Ce n’est pas à n’importe quel prix qu’il faut avoir un accord : il faut aussi que cet accord soit suffisamment ambitieux. »

Sommet des vanités.

Le Luxembourg jure par le marché

Mais qu’est-ce qu’un accord ambitieux ? Actuellement, le Luxembourg, comme les élites politiques et économiques mondiales, et même une partie du mouvement climatique, est favorable à la mise en place d’un marché du carbone mondial. Ce type de mécanisme, déjà établi au niveau du secteur industriel européen, devrait permettre de « donner un prix global » au carbone et de procéder à des réductions d’émissions avec un rapport coût-efficacité optimal. Cette approche, dont la simplicité arithmétique est séduisante, s’est révélée difficile à mettre en pratique dans le cadre homogène de l’« Emission Trading System » européen. Il faudrait s’attendre à une multiplication des « dommages collatéraux » si on l’appliquait à des entités aussi hétérogènes du point de vue économique et sociétal que la communauté mondiale des États et des entreprises. Malheureusement, pour corriger ces défauts, voire abandonner l’idée, on mettrait alors au moins une dizaine d’années – qu’on n’a pas.

Jennifer Morgan, directrice de Greenpeace International, a donc de bonnes raisons d’écrire dans le « Guardian » que « la compensation carbone a été testée et a échoué – l’avancer maintenant comme une solution n’est rien d’autre que du greenwashing et ouvrirait un grand trou dans l’accord de Paris ». C’est pourtant ce qui est au programme de la COP en cours, où l’on négociera sur l’interprétation de l’article 6 de l’accord de Paris, qui ouvre la porte à de tels mécanismes de marché.

Autre sujet sur lequel le Luxembourg se positionne en accord avec l’idéologie dominante – et contre les impératifs d’une transition juste : la finance climatique, qui, selon les mots de Xavier Bettel, doit s’orienter vers « des instruments innovateurs afin de mobiliser des financements privés indispensables pour une action climatique efficace ». Clairement, l’idée est de limiter la contribution nécessaire des pays industrialisés en misant sur l’intérêt des marchés financiers dans les investissements climatiques. Un calcul de moins en moins crédible au vu des effets pervers des flux financiers actuels. Ainsi, la majeure partie est consacrée à l’atténuation du changement climatique, la production d’énergies renouvelables promettant notamment de juteux retours sur investissement. Du côté de l’adaptation, qui correspond essentiellement à des « pertes évitées », les investisseurs-euses privé-e-s ne se bousculent pas.

Le risque est que, comme le rappelle U4CJ, des transferts sous forme de prêts conduisent à un endettement fatal des pays du Sud, déjà durement malmenés par le coût économique de la pandémie. La plateforme luxembourgeoise demande donc au gouvernement de plaider en faveur de « déboursements sous forme de dons plutôt que sous forme de prêts » au niveau international. Notons que la thématique du droit des pays du Sud à des compensations pour « loss and damage » (pertes et dégâts) causés par le changement climatique est également à l’ordre du jour de la COP26. Alors que les pays du Nord souhaitent éviter tout engagement dans ce domaine – ni Bettel ni Dieschbourg ne l’évoquent d’ailleurs –, U4CJ propose de mettre en place des fonds climatiques pour compenser les dommages, plutôt que de les inclure dans le domaine de l’adaptation. Au lieu de cela, c’est sans doute la « Glasgow Financial Alliance for Net Zero », qui prétend mettre la finance au service de la transition, qui sera fêtée comme un des succès de la COP – alors qu’elle est dénoncée par le mouvement climatique comme du pur « greenwashing ».

Intérêts oui, loss and damage non !

Mais le « greenwashing » n’est pas le seul danger qui guette les négociations climatiques internationales. Dès le sommet du G20 le week-end dernier, Joe Biden a donné le ton : interpellé sur la timidité des engagements des 20 plus grandes économies du monde, le président américain a critiqué les leaders de Chine et de Russie, qui n’avaient pas participé personnellement au sommet. Cela ne surprend pas, alors que l’idée qu’une nouvelle guerre froide serait inévitable fait son chemin à l’Ouest comme à l’Est.

La perspective d’un blocage de la COP sur fond de rivalités géopolitiques est pourtant doublement désespérante : d’un côté, elle remettrait en question les engagements des pays considérés comme ennemis de l’Occident, de l’autre, elle dédouanerait de leurs responsabilités les pays industriels, qui pourtant ne sont guère plus exemplaires que les nouveaux pays industrialisés dans la lutte contre le changement climatique. Ainsi, la Chine a eu beau jeu de réagir aux critiques en renvoyant aux tergiversations américaines du passé en matière climatique. Des tergiversations dont on n’est pas sûr qu’elles ne se répètent pas en ce moment même, avec les difficultés de Biden pour faire passer son plan de relance verte.


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